Grémil
Son nom
Lithospermum signifie « graine de pierre », par allusion aux petites graines - des nucules, plus exactement - très dures que la plante produit à l'aisselle des feuilles.
Le nom français est composé de deux éléments, un premier au sens plutôt obscur, probablement « grès » ou « grâ », qui serait la forme languedocienne du mot « grain » et le deuxième, « mil », de « millet ».
On l'a aussi appelé « herbe aux perles » (toujours à cause de ses petites graines dures qui, dans le cas de quelques espèces, sont blanches), « thé d'Europe, de Croatie ou de Fontainebleau » (probablement parce que son infusion a déjà été en vogue), « herbe aux yeux » (en raison de l'un de ses usages médicinaux), « graines de lutin » (au Québec seulement, semble-t-il, à cause du pouvoir qu'on lui attribuait de dissoudre les calculs, encore que le lien m'échappe...) et « chérie » (dont le sens deviendra évident plus loin).
En plus du nom commun gromwell, dérivé du français, les anglophones l'appellent parfois puccoon, mot emprunté en fait à une langue algonquienne parlée dans l'État de Virginie.
Et ça se mange?
Il paraît que les jeunes feuilles se mangent, mais l'usage est peu attesté. Dans certaines tribus amérindiennes, on consommait les nucules. Les Nlaka'pamux de Colombie-Britannique mangeaient la racine d'une variété proche, le Lithospermum incisum. En France, la racine a servi à colorer le beurre.
Et ça soigne quoi?
La plante serait diurétique et dissoudrait les calculs biliaires et urinaires. Elle soignerait les rhumatismes et la goutte. On l'a également employée en usage externe pour éliminer les corps étrangers dans l'œil.
L'infusion se prépare à raison de 2 cuillérées à soupe de plante entière par tasse. Infuser 20 minutes; prendre une tasse après les repas. En cas de corps étranger dans l'oeil, on recommandait de placer une nucule sèche sous la paupière. En contact avec l'humidité de l'œil, une membrane mucilagineuse se forme à la surface de la graine, captant le corps étranger qui se trouve expulsé avec elle.
Toutefois, c'est peut-être comme contraceptif que le grémil pourrait nous être de la plus grande utilité. Cet emploi traditionnel est attesté en Afrique et en Inde, de même que chez diverses nations amérindiennes, bien qu'on n'en trouve généralement pas mention dans les « matières médicales ». Surtout s'il s'agit de manuels produits par des religieux ou religieuses, cela va de soi.
C'était la racine qu'on prenait après l'avoir fait macérer dans l'eau froide. Le degré de stérilité obtenu variait en fonction de la dose et de la durée du traitement. Chez les Amérindiennes, la méthode traditionnelle consistait à prendre la macération pendant six mois, après quoi elles étaient supposées être infertiles pour toujours. Dans d'autres tribus, les femmes consommaient tout simplement un petit morceau de racine chaque jour.
Dans les années 1940, 1950, 1960 et 1970, on a mené pas mal d'expériences sur des animaux (souris et poulettes) et quelques autres sur des femmes, avec des résultats particulièrement convaincants, mais, pour des raisons obscures, elles n'ont jamais débouché sur des études plus poussées. On a notamment découvert que la plante inhibait l'hormone lutéinisante (ou gonadotropine B), dont le rôle est de provoquer la rupture des follicules et de favoriser la formation du corps jaune. Que, contrairement à ce que voulait la tradition, les fleurs et les semences étaient les parties les plus actives, les racines venant en troisième place, avant les feuilles ou la plante entière. Que les racines étaient plus efficaces si on les récoltait en septembre plutôt qu'en août. On a également mis au point un extrait lyophilisé qui, à l'abri de l'humidité, conserve sa pleine efficacité pendant une dizaine d'années. Bref, tout est en place pour que le grémil obtienne le plein statut de contraceptif humain, mais rien n'est fait pour qu'un extrait fiable soit accessible aux femmes qui souhaiteraient l'employer.
Et pourtant, entre le mercure que, dans la Chine ancienne, on devait faire frire toute une journée dans l'huile avant d'en avaler l'équivalent d'une graine de jujube - ce qui avait pour effet, au mieux, de vous rendre folle -, les crottes de crocodile séchées qu'en Égypte on absorbait, probablement en conjonction avec une colonie de coliformes létaux, et les innombrables potions à base de plantes vénéneuses qu'on a prises au fil des siècles et dont une dose juste un peu trop élevée suffisait à vous envoyer au tombeau, le grémil fait figure de contraceptif idéal. En outre, comme ses principes actifs ne sont pas des substances hormonales, il ne provoque aucun des effets indésirables associés aux anovulants de synthèse.
De plus, à cause de son action particulière sur les autres hormones sécrétées par le lobe antérieur de l'hypophyse, on croit qu'il pourrait être utile dans le traitement de l'hyperthyroïdie, la maladie de Graves-Basedow, notamment, qui afflige tout particulièrement les femmes et qui se manifeste par l'apparition d'un goitre exophtalmique on ne peut moins esthétique.
Voilà!
« Eh oh! Minute! Et le nom de « chérie », il vient d'où? »
Ah! oui, c'est vrai, j'oubliais. Ironie des ironies, le pigment rouge vif que comprend la racine était traditionnellement utilisé par les jeunes filles des campagnes d'Europe comme fard à joues et rouge à lèvres. C'est-y pas beau ça? Regardez-moi, désirez-moi, aimez-moi, mais pour les petits, vous repasserez!
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