Le tilleul
Son nom
Le tilleul d'Amérique (Tilia americana ou Tilia glabra) est plus connu ici sous le nom de « bois blanc », probablement à cause de son bois, justement, qui de tout temps a été prisé par les ébénistes, les sculpteurs et les luthiers. Le sens du nom générique latin, Tilia, reste obscur, mais on sait toutefois que, dès le XIIIe siècle, le mot « teille », qui en est dérivé, désignait spécifiquement l'écorce de cet arbre, que l'on utilisait pour fabriquer des cordes et des nattes. Par la suite, « teille » en est venu à désigner l'écorce de diverses autres plantes textiles, dont le chanvre, « teillage », l'opération qui consistait à séparer les parties ligneuses de la fibre, « teilleur », l'ouvrier qui se consacrait à cette tâche, et « teilleuse », la machine à teiller. Tout un petit vocabulaire technique est donc né autour de la précieuse écorce de ce non moins précieux arbre.
En grec, il porte le nom de Philyra, en hommage à la mère du centaure Chiron, dont on assure que les pouvoirs ont toujours été bénéfiques aux êtres humains. Le tilleul est d'ailleurs considéré comme un symbole d'amitié et de fidélité. Révéré à travers les âges, chanté et glorifié dans les poèmes, il appartient aux plus anciens folklores européens. Dans certaines traditions, on dit qu'il représente à la fois les vertus masculines de la force et du pouvoir, et les vertus féminines de la réceptivité et de la contemplation.
Son rôle dans l'équilibre écologique
À l'époque où Montréal était encore un grand village, le tilleul abondait dans la région et, au moment de sa floraison dans la première moitié de juillet, il constituait dans certains cas la principale ressource mellifère.
Et ça se mange?
Les Iroquois et les Saulteux consommaient les jeunes pousses et les rameaux, crus ou cuits. Quant à l'écorce, ils la cuisaient d'abord longuement puis la broyaient et l'ajoutaient aux bouillons de poisson ou à de l'huile de poisson qu'on intégrait ensuite aux ragoûts.
Les jeunes feuilles encore translucides et très tendres sont excellentes en salade. On peut également les faire lactofermenter. Plus âgées, elles ont été séchées puis réduites en farine et ajoutées à des céréales. Réputé pour être très nutritif, ce plat était répandu lors de la dernière guerre mondiale alors que les nazis tentaient d'affamer la population française. On a aussi employé les feuilles comme fourrage pour le bétail.
On peut ajouter les fleurs aux salades de fruits ou de légumes, qu'elles parfumeront agréablement. Les fruits rôtis, que les anglophones désignent sous le nom de monkey-nuts, ont servi à préparer un succédané de café. Quant à la sève, elle est, paraît-il, fort bonne à boire. On peut aussi en faire du sirop, mais le rendement est faible.
Pour nombre d'Européens qui, contrairement à nous, peuvent en trouver sur le marché, de tous les miels, le miel de tilleul est celui qui possède la saveur la plus délicate.
Toutefois, l'usage le plus connu est celui qui consiste à boire sa tasse de tilleul, à la maison ou au café, comme cela se fait depuis toujours en France, où c'est encore l'infusion la plus répandue. C'est d'ailleurs très précisément l'odeur suave de l'infusion, associée à celle des madeleines, qui, en réveillant ses souvenirs d'enfance, inspira une grande partie de l'oeuvre de Marcel Proust. C'est quand même pas tout à fait rien et c'est pour cela qu'on va jouer, le temps d'une collation, à se prendre pour Proust. Attention, toutefois, les madeleines doivent leur célèbre légèreté à une overdose de beurre. Vous trouverez la recette dans Documents associés.
Et ça soigne quoi?
Sédatives et légèrement hypnotiques, sudorifiques et diurétiques, les fleurs de tilleul ont servi à soigner les spasmes, les troubles digestifs, l'insomnie, les névroses et, parce qu'elles agissent sur l'hyperviscosité et l'hypercoagulation sanguines, l'athérosclérose et la pléthore.
Plus récemment, on a découvert qu'elles augmentaient la résistance non spécifique de l'organisme, ce qui en fait un excellent remède contre la grippe et le rhume, particulièrement chez les enfants. Dès l'apparition des premiers symptômes, on alite l'enfant et on lui donne 2 ou 3 tasses d'infusion par jour. En Europe, on les prend très souvent avec des fleurs de sureau noir, considérées elles aussi comme capables de stimuler la résistance non spécifique de l'organisme.
On a dit que certaines espèces de tilleul, dont le tilleul américain, pouvaient provoquer des vomissements et de la diarrhée chez certaines personnes, mais cela n'est pas confirmé par la tradition médicale nord-américaine. Ainsi, selon les Soeurs de la Providence, tant le tilleul d'Europe (Tilia europoea) que le tilleul d'Amérique sont employés en médecine. « C'est un breuvage agréable, écrivent-elles dans leur Matière médicale, qui convient bien dans les lassitudes, les digestions lentes, les dérangements nerveux. » De son côté, dans sa Flore Laurentienne, le Frère Marie-Victorin parle des propriétés antispasmodiques et diaphorétiques des fleurs de notre espèce. On peut donc les consommer sans crainte. Infuser dix minutes 15 à 30 grammes par litre. Prendre 2 à 4 tasses par jour.
L'aubier de tilleul sauvage, réputé pour combattre l'arthrite, les rhumatismes, la cellulite, les états migraineux et les calculs biliaires et rénaux, provient du Tilia sylvestris, une espèce qui pousse dans le sud de la France et qui serait passablement différente des autres.
Par voie externe, les Amérindiens employaient une décoction de l'écorce interne pour laver et traiter les brûlures. Les hospitalières employaient l'écorce et les feuilles sous la forme de cataplasmes émollients contre les enflures douloureuses et l'inflammation des yeux.
Le bain aux fleurs de tilleul est réputé pour soigner la fatigue nerveuse, l'insomnie et l'anxiété. Il ferait des merveilles auprès des enfants irritables ou hyperactifs. On prépare d'abord une infusion avec 1 1/2 tasse de fleurs dans 1 litre d'eau. On filtre et on ajoute l'infusion à l'eau du bain. On recommande de faire tremper le « petit monstre » une quinzaine de minutes dans ce bain avant de le mettre au lit. Après quoi, on prendra soi-même un bain semblable, histoire de se calmer les nerfs...
Mode de culture
Sa beauté, sa forme, la densité de son feuillage et le fait qu'il se prête particulièrement bien à la taille font que le tilleul est largement utilisé comme arbre d'ornement. On trouve donc facilement des plants en jardinerie. Toutefois, si vous ne disposez que d'une petite cour, il faudra le tailler impitoyablement, car, élevé dans de bonnes conditions et laissé à lui-même, il peut atteindre les 40 mètres de hauteur.
Pour les vrais de vrais qui préfèrent se compliquer l'existence en semant les graines, il faut savoir que ces dernières ont la germination pénible. On devra d'abord les exposer au froid, soit en les mettant dans un sac de sable humide qu'on placera ensuite au congélateur - pendant cinq ou six semaines - avant de les semer en pleine terre, soit en les semant directement à l'extérieur, de préférence dans un bac, histoire de suivre le processus de près. Vous devrez toutefois faire preuve de patience, car, dans ce dernier cas, elles peuvent mettre deux ans à germer.
Comme il n'existe pas, à ma connaissance, de source commerciale de semences, il vous faudra les prélever sur des spécimens vivants. Si vous avez la main verte, vous pouvez également procéder par bouturage. Fin mars/début avril, récoltez des rameaux de 12 à 15 cm et plantez-les sur les deux tiers de leur longueur dans du sable humide. Arrosez régulièrement d'un fin jet d'eau et au bout de quelques semaines, vous devriez voir apparaître des feuilles. Transplantez au printemps.
Par contre, si vous êtes du genre à rater vos semis de radis ou à perdre vos cactus pour raison de soif intense, vaudrait mieux commander un plant chez un pépiniériste.
Le tilleul a besoin d'une terre riche, humide, mais non détrempée. Il craint tellement la chaleur que lorsque le mercure monte trop haut, il peut carrément perdre ses feuilles en guise de protestation. Pour se l'amadouer, on recommande de disposer un paillis d'une quinzaine de centimètres d'épaisseur sur le sol en veillant à bien couvrir l'ensemble de son réseau de racines (soit la surface occupée par l'ombre que projette le feuillage au zénith).