la bardane
Son nom
Arctium viendrait du grec et signifierait « ours », par allusion à l'involucre, écrit le frère Marie-Victorin. L'involucre, pour les ignares dont j'étais jusqu'à il y a quelques heures, c'est « une réunion de bractées, verticillées, ou imbriquées, insérées à la base d'une ombelle, d'un capitule ou de toute autre inflorescence ». Ah ben merci! Ca explique tout! Sauf que quelqu'un pourrait-il m'expliquer S.V.P. le rapport avec l'ours ou bien ai-je l'esprit trop obtus pour saisir l'évidence même? Certains affirment que ce serait parce que l'inflorescence est rugueuse et ébouriffée, mais là, franchement, ça ne colle pas. À moins qu'il ne s'agisse d'une allusion aux griffes de l'imposant plantigrade, lesquelles, comme chacun le sait, ne sont pas rétractiles. Pas plus que ne le sont les bractées de l'involucre de la bardane, comme nous en avons tous fait l'expérience le jour où il a fallu tailler dans le vif de la chevelure pour les enlever.
L'origine du nom français est encore plus obscure. Pour certains, ce serait un emploi métaphorique du lyonnais « bardane », qui voulait dire « punaise ». Tout cela viendrait du latin populaire barrum, qui signifie « boue », la punaise ressemblant à une tache. Vous y comprenez quelque chose, vous, à ce charabia? D'autres affirment plutôt qu'il viendrait du radical latin baritare qui veut dire « s'opposer à , diverger ». Youhou! Faudrait vous entendre, là!
Lappa, qui veut dire « saisir, prendre », était le nom du genre avant que le sieur Linné n'arrive avec sa nouvelle terminologie et le repousse au niveau de l'espèce. Les Romains désignaient ainsi toutes les plantes dont les fruits s'accrochent aux vêtements.
À cause de ses particularités, de ses fruits surtout, la bardane s'est vu attribuer de multiples noms populaires au fil des siècles : artichaut, rhubarbe sauvage, tabac du diable, rapace, graquias, toques, bourrier, choubourrache, glouteron, grateron, péterolle... Et « amoureux » : tsé le genre de crampon dont on n'arrive pas à se débarrasser!
Les enfants français appellent « boutons de pompiers » les fruits qu'ils s'amusent à accrocher en rangées sur leurs vêtements. Toutefois, en passant chez les anglophones, ces derniers perdent du grade puisqu'on les surnomme « boutons du quêteux » (beggar's buttons). Dans ma jeunesse, on les désignait tout simplement sous le nom de « pipiques ».
Enfin, en France, on l'a également baptisée « herbe aux teigneux », à cause de son efficacité contre les maladies chroniques de la peau et du cuir chevelu.
Son rôle dans l'équilibre écologique
« Mauvaise herbe gênante et encombrante, de décréter le frère Marie-Victorin, qu'on ne saurait tolérer nulle part. » C'est tout à fait l'avis de mon voisin, qui m'a suggéré, fort délicatement d'ailleurs, de couper tous les plants qui poussent sur mon terrain et de leur faire subir l'ultime sacrifice du feu. S'il devait découvrir que j'en cultive dans mon jardin, cela finirait de ruiner ma réputation, déjà fort compromise par le fait que je refuse absolument de tondre les plantes sauvages qui poussent sur le bord de la route le long de ma propriété, comme le font tous les bons citoyens de la région. En passant, dans le langage des plantes, bardane signifie « importunité ».
Dotée d'une grande intelligence botanique, la plante a mis au point trois façons de disséminer ses semences. Soit les fruits se réunissent en pelotons que le vent fait rouler sur le sol. Soit ils restent sur la tige et finissent par s'ouvrir pour répandre leurs graines. Mais la troisième est de loin la plus brillante : en s'accrochant aux toisons des animaux - notamment aux queues des chats et des chiens - ou aux vêtements et cheveux des humains, ils voyagent gratos jusqu'à des endroits parfois fort éloignés de leur lieu de naissance, endroits que la plante va s'empresser de coloniser au détriment de toutes les autres espèces végétales, qui n'ont aucune chance contre sa féroce compétitivité. C'est comme ça, paraît-il, que l'on conquiert un territoire.
Et ça se mange?
En provenance d'Europe, la bardane n'est apparue dans l'alimentation des Amérindiens qu'assez récemment, d'où le peu d'usages documentés dont on dispose à cet effet. On sait que les Iroquois mangeaient les jeunes feuilles cuites et employaient la racine séchée dans la soupe. Chez les Lillooets de la Colombie-Britannique, on cueillait la racine avant l'apparition des feuilles et on la mangeait crue.
Par contre, en Europe, on l'a beaucoup consommée dans les campagnes. D'abord ses feuilles, les très jeunes seulement, car en se développant elles deviennent amères. Ensuite les pétioles des feuilles, qu'on peut manger crus ou cuits lorsqu'ils ne sont pas amers et qu'on peut faire lacto-fermenter. Puis les jeunes pousses, tout juste sorties de terre, qui se mangent crues en autant qu'on les pèle d'abord pour en éliminer la partie amère. On peut aussi les conserver dans du vinaigre. Toutefois, il arrive assez souvent qu'elles soient infestées par le perce-tige de la bardane, ce qui les rend nettement moins attrayantes.
C'est probablement au Japon qu'il se consomme la plus grande quantité de bardane par tête de pipe. Ce peuple, qui a porté l'art culinaire à un raffinement d'une exquise sobriété, a mis au point des variétés moins amères et plus tendres qu'on apprête en légume, comme la carotte, le panais ou le salsifis.
La racine peut également être lacto-fermentée. De plus, tout comme la chicorée, le pissenlit, le topinambour et le salsifis - incidemment, quatre plantes de la même famille - elle a servi à faire un succédané de café.
Un truc à retenir : lorsqu'on coupe la racine, elle s'oxyde rapidement. Après l'avoir coupée, il est donc recommandé de mettre les morceaux à tremper quelques minutes dans de l'eau très froide.
Et ça soigne quoi?
En médecine orientale, on a employé le jus de bardane contre l'appendicite, à raison d'un demi-verre que l'on recommandait de boire d'un coup. En outre, on a utilisé la décoction de semences (10 à 20 grammes par tasse d'eau) pour traiter les tumeurs du sein ou d'une glande lymphatique, pour les maladies de l'appareil digestif comme les crampes d'estomac et en cas de manque de vitalité. On soigne traditionnellement l'anémie avec des kinpira (littéralement «paix dorée» ou «morceaux précieux aplatis») de bardane, plat qui consiste à faire cuire dans une poêle la racine découpée en allumettes. On fait sauter les morceaux pendant 2 ou 3 minutes dans de l'huile, on ajoute un peu d'eau et on laisse mijoter jusqu'à ce qu'ils soient tendres. On assaisonne d'un peu de sauce tamari et on cuit quelques minutes encore, à couvert. Puis, on retire le couvercle et laisse le tout sur le feu jusqu'à évaporation complète du liquide.
La tradition européenne en a fait une plante médicinale fort appréciée, particulièrement pour ses vertus dépuratives. Décrassantes, quoi! Elle est également sudorifique, diurétique, cholérétique, antidiabétique, antibiotique, topique, antivénéneuse. On l'a utilisée pour soigner la furonculose, l'anthrax, les abcès de gorge et dentaires, les dermatoses, l'acné, l'eczéma, les plaies, la teigne, la rougeole, la goutte, les rhumatismes, le diabète, les calculs urinaires et les morsures de vipères. Son emploi en cas de diabète s'expliquerait par sa richesse en inuline, un sucre complexe que les diabétiques peuvent assimiler.
Selon le docteur Jean Valnet, la racine doit être utilisée fraîche et non séchée car sinon elle perdrait alors la plus grande partie de ses propriétés. Ce qui en limite l'emploi au printemps et à l'automne. Pour la préparer, on fait bouillir 60 grammes de racine fraîche dans un litre d'eau pendant dix minutes.
Par ailleurs, on peut également la préparer en teinture. En France, il existe un extrait de bardane stabilisé mais, à ma connaissance, il n'y a rien de tel ici.
Les feuilles fraîchement cueillies ont été appliquées en cataplasme contre les affections pulmonaires chroniques, les rhumes traînants et les rhumatismes; macérées dans l'huile d'olive, elles hâteraient la cicatrisation des ulcères aux jambes et des plaies en général.
On les a également employées pour prévenir la chute des cheveux. On confectionne une lotion en faisant bouillir une tasse de feuilles dans deux tasses d'eau. On passe, on laisse refroidir et on applique sur le cuir chevelu. Est-ce très efficace? Probablement pas mais, contrairement aux traitements classiques qui ne le sont guère non plus, ça a au moins l'avantage d'être gratuit.
En 1890, les Soeurs de la Providence écrivaient dans leur Matière Médicale que « d'après de récentes expériences, faites par un médecin distingué des E-U, les semences de bardane sont un véritable spécifique contre les maladies de la peau, même les plus invétérées ». Pour préparer le remède, on passait deux ou trois fois dans un moulin à café 450 grammes de semences puis on les ajoutait à quatre litres de whisky tiède. On laissait « digérer » dans un lieu chaud pendant quelques semaines en ayant soin de brasser tous les jours, puis on filtrait. La dose était d'une cuillère à soupe, trois fois par jour avant les repas. Il fallait, disait-on, en prendre pendant plusieurs mois mais le résultat était assuré. Ou, encore, on préparera un amer de bardane et d'aralie, aux propriétés dépuratives avérées (voir notre recette dans Documents associés).