Lichens
Son nom
Bien qu'il y ait une infinité d'espèces de lichens sur la planète, on connaît encore relativement peu ce groupe de plantes qui se situent à mi-chemin entre le champignon et l'algue, ou plutôt qui sont le produit de l'un et de l'autre, avec tous les avantages que cette union comporte, notamment celui de secréter des substances inconnues des deux autres. Encore peu développée, la lichénologie, ou science des lichens, mériterait certainement qu'on lui accorde plus d'intérêt. En effet, jusqu'à présent, on a isolé dans ces végétaux des principes antibiotiques, antiseptiques et amers. Qui sait quels autres talents ils font fructifier à l'abri de leur thalle grisâtre?
Les lichens servent à la teinture végétale depuis des siècles. En général, plus difficiles à extraire que ceux des plantes vasculaires, leurs pigments sont par contre plus résistants à la lumière et à l'eau. Ce sont eux qui donnent aux tweeds irlandais et écossais ces tons si particuliers de lande anglaise à l'automne.
En passant, qui dit pigments dit habituellement antioxydants - qu'on pense au bêtacarotène, au lycopène, aux flavonoïdes, à la chlorophylle, aux anthocyanes. Pourquoi les pigments des lichens échapperaient-ils à cette règle?
Leurs noms
« Lichen » vient du latin qui l'a lui-même emprunté au grec leikhên, qui veut dire « lécher », à cause de la façon qu'ont ces végétaux de s'accrocher aux rochers ou aux arbres sur lesquels ils poussent.
Les Umbilicaria et les Actinogyra portent au Québec le nom de « tripe de roche », probablement en référence à « tripe de velours », expression rare, d'origine obscure, qui désigne une sorte d'étoffe.
Les Cladina portent le nom de « mousse » ou « lichen de caribou » du fait qu'ils constituent une nourriture d'hiver très importante pour ce cervidé.
Leur rôle dans l'équilibre écologique
Comme ils peuvent pousser sur des milieux extrêmement arides - on ne fait pas plus ingrat que les roches nues - on considère les lichens comme des végétaux pionniers à la suite desquels d'autres êtres vivants pourront se développer. En retenant avec leurs thalles un peu de sable par-ci, un peu de terre par-là, et en se décomposant tranquillement quand ils atteignent l'âge de disparaître, ils créent graduellement un milieu moins austère qui permettra l'établissement de plantes plus exigeantes.
Ne me dites pas que ça se mange!
Eh oui! Tous les peuples des pays nordiques savaient qu'ils pouvaient compter sur les lichens en cas de nécessité et, aussi loin que la mémoire collective pouvait remonter, on se rappelait ces hivers de disette où il avait fallu se contenter de lichens chichement assaisonnés de baies de ceci ou de graisse de cela. Aujourd'hui, plus personne ne les consomme, mais il est bon de savoir qu'ils existent et qu'ils peuvent parfois faire la différence entre la vie et la mort. Et puis, franchement, une fois désamérisés, ils ne sont pas mauvais du tout, particulièrement si on en fait une gelée aromatisée au jus de fruits ou de légumes frais (voir notre recette dans Documents associés). Ou au chocolat.
Pour les apprêter, il suffit de les faire cuire une première fois dans de l'eau, puis de jeter cette eau et de recommencer la cuisson, dans de l'eau ou de la graisse. Une autre technique consiste à ajouter des cendres ou du bicarbonate de soude à la première eau de cuisson. Une fois que les lichens sont bien cuits, on obtient un bouillon, épais et mucilagineux à souhait, auquel on ajoutera légumes, légumineuses et céréales au choix. Ou bien on les fera sécher, puis on les réduira en poudre, laquelle pourra être ajoutée à de la pâte à pain ou à de la soupe.
En plus d'être amers, les lichens sont généralement difficiles à digérer, car ils renferment des polysaccharides complexes que l'organisme a parfois du mal à dégrader. La cuisson prolongée permettait d'atténuer ce problème. Dans certains cas, les lichens étaient mis à cuire pendant vingt-quatre heures dans une fosse souterraine d'où ils ressortaient tout pimpants sans une once d'amertume et complètement « dépolysaccharidés », c'est-à-dire dégradés en sucres simples. Enfin, certains lichens peuvent être toxiques à cause de la présence d'acide vulpinique ou usnéique dans leurs tissus. Encore une fois, les Amérindiens avaient mis au point une technique particulière pour atténuer ce problème : ils les faisaient tremper dans l'eau courante (celle d'un ruisseau ou d'une rivière, par exemple) puis les battaient contre les rochers ou au pilon pour les tremper de nouveau avant de les cuire.
D'une façon ou d'une autre, on avait compris que sous l'effet d'une consommation régulière plutôt qu'occasionnelle, l'organisme finissait par s'habituer aux lichens et les digérait mieux. Ce qui est vrai pour l'ail, les haricots secs et les choux l'est aussi pour les lichens.
Toutefois, le nec plus ultra consistait à les manger partiellement prédigérés. Comment? Simple : en les prélevant dans le rumen d'un caribou mort.
-Ah! non! Vous n'allez pas recommencer avec vos cochonneries!
-Écoutez, je n'y peux rien. C'est comme ça que les Inuits les préféraient. Non seulement les sucs gastriques de l'animal avaient-ils réduit à néant les intentions malfaisantes des lichens mais, de plus, on trouvait, dans le même « récipient », si je puis m'exprimer ainsi, divers lichens (généralement des Cladina rangiferina et des Cetraria), des champignons, de la prêle, des carex, des graminées, des feuilles et des jeunes pousses de saule, de bouleau et de bleuet, ainsi que toutes sortes d'autres végétaux, le tout prémalaxé, préemballé, pratiquement prêt à manger. Pour ceux qui savaient l'apprécier, il s'agissait d'un mets d'une extrême délicatesse, tout en arômes et en saveurs complexes.
-C'est proprement dégoûtant!
-Je vous conseille de vous renseigner sur ce que renferment les aliments que vous mangez jour après jour. On trouve là-dedans un tas d'ingrédients pas catholiques du tout, voire carrément illicites, tout cela présenté sous un dehors tellement anodin qu'on leur donnerait le bon Dieu sans confession. Et puis, question variété, l'intérieur d'un rumen de caribou, ça bat le Guide alimentaire canadien haut la main! Et pas de longue préparation - rien à hacher, couper, blanchir. Suffit de réchauffer.
-Ah! ça, si vous me prenez par les sentiments!
Chez les Salish de la Colombie-Britannique, on confectionnait une sorte de pudding composé d'amélanches, de graisse de cerf, de lichen « poil d'ours » (Bryoria fremontii), ainsi que de bulbes du lis tigré et de ceux d'une espèce d'érythrone.
Les Jésuites et autres explorateurs français connaissaient bien la tripe de roche (Actinogyra spp., Umbilicaria spp.), dont ils avaient appris le mode d'emploi des Inuits, des Hurons, des Naskapi et des Cris de la baie d'Hudson. Pour l'apprêter, on la lavait d'abord, puis on la défaisait en petits morceaux avant de l'ajouter aux soupes et aux bouillons avec du poisson, des œufs de poisson ou du sang de caribou.
Et ça soigne quoi?
On a employé en médecine de nombreux lichens dont les usages étaient déjà connus des anciens Égyptiens. Au fil des siècles et de l'évolution de la médecine moderne, ces usages se sont perdus, si bien qu'au début du XXe siècle, il ne restait pratiquement plus que la mousse d'Islande (Cetraria islandica) à figurer dans les Matières médicales.
Lorsqu'elle n'est pas débarrassée de son principe amer, la mousse d'Islande est antivomitive, stomachique, fébrifuge et tonique (stimulant du système nerveux central) ainsi qu'antianémique. On l'a employée pour calmer les vomissements des migraineux et ceux de la grossesse, les sueurs nocturnes, l'anémie et la fatigue générale. L'association principe amer et mucilage la rendent, en outre, particulièrement utile pour soigner les problèmes gastriques.
Débarrassée de son principe amer, elle est diurétique, émolliente, expectorante et fortifiante. On l'a employée pour soulager la tuberculose pulmonaire, les irritations de la gorge, les diarrhées, notamment celles des enfants en sevrage, les maladies chroniques des intestins, la dyspepsie, la fatigue générale. On s'en est servi avec succès pour soigner les catarrhes bronchiques chroniques avec irritation récurrente, particulièrement chez les personnes âgées et les asthéniques. En Europe, notamment en Allemagne, les pastilles contre la toux à base de mousse d'Islande sont chose courante.
Quand on veut préserver son principe amer, on évite de la faire bouillir. Une simple infusion à l'eau chaude ou, mieux encore, une macération à l'eau froide conviendra.
L'infusion, la macération et la décoction se préparent à raison de 20 grammes par litre d'eau. Pour la décoction, faire bouillir, jeter l'eau, laver à l'eau froide et faire bouillir à nouveau dans 1 1/2 litre d'eau pendant 30 minutes. Édulcorer avec 100 grammes de miel. Pour les deux autres préparations, laisser infuser ou macérer dix minutes, filtrer et édulcorer. Prendre 3 à 4 tasses par jour.
Parmi les autres espèces employées jadis en médecine, mentionnons le lichen des murs (Parmelia parictina), aux propriétés semblables à celles de la quinine, la pulmonaire des chênes, dite crapaudine (Lobaria pulmonaria) qui, comme son nom l'indique, soignait les maladies pulmonaires, la mousse de caribou ou lichen des rennes (Cladina rangiferina), ainsi que diverses usnées (Usnea spp.), dont l'usnée du crâne humain, ou lichen entrelacé (Usnea plicata) qui...
-Attendez là, vous avez bien dit l'usnée du crâne humain?
-Exact. Les soeurs de la Providence écrivent qu'elle « croît quelquefois sur les crânes humains et autres lieux », et qu'elle...
-Et autres lieux? Vous croyez que les autres lieux en question se trouvent aussi sur le squelette humain?
-Franchement, je ne saurais dire. Déjà que j'ai du mal à imaginer comment on a bien pu ramasser du lichen sur des crânes humains...
Enfin, on a trouvé dans un autre lichen (Buella canescens) un principe antibiotique permettant de combattre le bacille de Koch (tuberculose). D'ailleurs, on a découvert assez récemment que les acides amers des lichens possédaient de remarquables propriétés antibactériennes, notamment dans les infections intestinales. En effet, n'étant pas absorbés, ces principes restent en contact prolongé avec les microbes indésirables qui squattent les intestins, d'où leur efficacité.
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