Frêne
Une rune pour nom
« Frêne » vient du latin Fraxinus, dont j'ignore s'il a un sens particulier. Le mot pourrait désigner, comme chez les Grecs, la lance du soldat. Quant au nom anglais, ash, il vient de aesc, nom de la rune correspondante dans la vieille langue. Et si cet arbre portait le nom d'une rune c'est que, pour les peuples germaniques, il était sacré. C'était l'arbre du monde, à l'ombre duquel l'univers se déployait, qui abritait d'innombrables animaux et dont, de toute façon, tous les êtres dérivaient. Toujours vert, il était le symbole de la pérennité de la vie, que rien ne pouvait détruire.
Les frênes - il y en a une cinquantaine d'espèces dans le monde - seraient géologiquement très anciens. Durant le Tertiaire (-70 millions à -4 millions d'années), ils habitaient dans le voisinage du Pôle Nord. Ils auraient graduellement émigré vers le sud, ce qui pourrait expliquer pourquoi ils perdent leurs feuilles très tôt à l'automne et s'en couvrent tard au printemps. Adaptés à de hautes altitudes où la saison est courte, ils n'auraient toujours pas compris, 4 millions d'années plus tard, que ladite saison est, désormais, plus longue et qu'ils n'ont plus besoin de se montrer aussi prudents. Lente, lente, l'évolution...
D'ailleurs, dans les anciennes républiques baltes, frêne se dit d'un homme étourdi ou niais, précisément pour cette raison. Il ne sait pas quand vient le printemps et reste donc longtemps dénudé. Puis, quand vient l'automne, il se débarrasse de toutes ses feuilles d'un seul coup, avant tous les autres.
Et ça se mange?
On a consommé les jeunes fruits (samares) des diverses espèces de frêne, marinés dans du vinaigre. Veillez toutefois à les faire bouillir préalablement dans au moins deux eaux pour les débarrasser de leur amertume. Quant à l'écorce du frêne rouge, elle était consommée par les Saulteux de la région des Grands Lacs, qui en grattaient les diverses couches en longues bandes pelucheuses puis les faisaient cuire. En outre, les Micmacs ajoutaient fréquemment la sève de cet arbre à celle de l'érable et du bouleau jaune pour la faire réduire en sirop ou la boire telle quelle. La gomme de certaines espèces a servi à édulcorer la nourriture et les enfants la considéraient comme une friandise de choix.
Et ça soigne?
En Europe, on lui attribuait de grands pouvoirs curatifs, dont celui de guérir la hernie ombilicale du nouveau-né. Le rituel exigeait qu'on fende un jeune frêne en deux dans le sens de la longueur, puis qu'on fasse passer le bébé entre les deux moitiés écartées, que l'on réunissait ensuite avec de la ficelle. La guérison du bébé était censée s'accorder à celle du jeune frêne.
Certains jurent que la feuille du frêne noir a été employée avec succès comme antidote contre la morsure des serpents. Appliquée sur la partie affectée, elle arrêterait l'effet du venin. On la faisait également prendre par voie interne. Une vieille légende raconte que le remède était d'une redoutable efficacité, les serpents s'écartant carrément de leur chemin pour ne pas toucher l'ombre que faisait l'arbre sur le sol! Une autre disait que si un serpent devait avoir à choisir entre passer à travers les branches d'un frêne ou par les flammes d'un feu, il choisirait le deuxième chemin.
Plus pragmatiquement, c'est pour les effets antirhumatismaux et diurétiques de ses feuilles qu'on apprécie le frêne. On les emploie par voie interne et par voie externe, à raison d'une poignée par litre d'eau. Bouillir, puis infuser dix minutes. Boire à volonté, avec du jus de citron. On peut remplacer la moitié des feuilles de frêne par des feuilles de cassis. On peut également préparer un vin médicinal en laissant macérer quelques jours une vingtaine de feuilles dans un litre de vin blanc. Pour les usages externes, faire bouillir les feuilles pendant 15 minutes, puis appliquer en compresses sur les endroits douloureux.
On a utilisé l'écorce du frêne blanc dans le traitement de la dysménorrhée et, selon les soeurs de la Providence, elle serait, tout comme les feuilles, un excellent remède contre les rhumatismes.
Ses usages
Étonnant, tout de même, cet arbre dont on a tiré, selon les espèces, une gomme à la fois sucrée et médicinale, la manne, laquelle fournit un polyalcool purgatif, la mannite, autrefois largement utilisée en médecine, ainsi qu'un sucre, le mannose; une écorce comestible, des feuilles aux propriétés rafraîchissantes et antirhumatismales, et des fruits que, jeunes, on peut apprêter en marinade.
Et des bâtons de hockey... C'est en effet avec le bois du frêne blanc - l'un des plus précieux d'Amérique du Nord, selon le frère Marie-Victorin - qu'on fabrique encore bon nombre de ces « bâtons crochus » (« hockey » vient de l'ancien français « hoquet » qui voulait dire « crochet » ou « bâton crochu ») que petits et grands garçons d'Amérique du Nord utilisent pour se disputer frénétiquement, et parfois déraisonnablement, une rondelle de caoutchouc dur. Décidément, on nage en pleine mythologie!
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