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dimanche 9 avril 2017

Bourguiba enterré déchaîne toujours les passions

Bourguiba l'homme de l'Etat tunisien
Père de l'indépendance et de l'Etat tunisien moderne, "libérateur de la femme" mais aussi autocrate qui s'était proclamé président à vie: 17 ans après sa mort, Habib Bourguiba déchaîne par ses contrastes et criminalité  toujours les passions en Tunisie.
C'est après des témoignages de victimes de son régime, fin mars, dans le cadre des auditions publiques de l'Instance vérité et dignité (IVD), que le débat sur son héritage a été relancé.
Créée après la chute de Zine El Abidine Ben Ali (1987-2011), cette instance est chargée d'enquêter sur les crimes du passé. Si le régime Ben Ali occupe une large place, sa période d'études remonte à 1955, un an avant l'indépendance.
Le 24 mars, l'IVD s'est ainsi penchée sur le sort de partisans du nationaliste arabe radical Salah Ben Youssef. Rival du "combattant suprême" Bourguiba à l'orée de l'indépendance, il est mort mystérieusement en Allemagne en 1961, après un exil forcé.
Ce soir-là, par leur remise en cause du récit national, les témoignages de "yousséfistes" ont provoqué la colère des gardiens du temple bourguibiste.
"Poubelle de l'Histoire"
La contre-attaque de ces derniers a culminé jeudi à l'occasion du 17e anniversaire de son décès, par la voix du président Béji Caïd Essebsi, 90 ans, lui-même ancien proche d’Habib Bourguiba.
"Je ne sais pas ce qu'est cette campagne" contre Bourguiba, "peut-être ces gens ne comprennent-ils pas du tout l'Histoire, mais ceux-là se retrouveront dans la poubelle de l'Histoire", a-t-il asséné depuis Monastir, la ville de l'ancien président.
Le même jour, l'une des nièces d’Habib Bourguiba est intervenue sur Radio Monastir pour s'insurger également. "Il a construit le pays, fait de la femme ce qu'elle est, et maintenant ils veulent le salir", a-t-elle lancé, des sanglots dans la voix.
Mort le 6 avril 2000, 13 ans après sa destitution par un "coup d'Etat médical", Bourguiba a en effet posé les jalons de l'Etat moderne tunisien (éducation obligatoire et gratuite pour tous, statut très avancé pour les femmes...).
Mais il avait aussi instauré un culte de la personnalité et s'était proclamé président à vie, réprimant sans pitié ses opposants, de gauche comme islamistes.
La révolution de 2011 et la libération de la parole ont durablement discrédité les années Ben Ali. Tel n'est pas le cas pour Bourguiba.
Symboliquement, et conformément à un engagement de campagne, Béji Caïd Essebsi a fait réinstaller l'an dernier en plein cœur de Tunis une fameuse statue équestre de l'ancien chef de l'Etat.
Exilée par Ben Ali en banlieue, elle trône de nouveau à côté du ministère de l'Intérieur, sur la place éponyme.
"Fracture mémorielle"
"Aujourd'hui nous avons besoin d'un leader, mais ce leader n'existe pas", a récemment commenté sur Shems FM Safi Saïd, auteur d'un livre sur Bourguiba.
L'ancien chef de l'Etat serait d'ailleurs "sûrement fâché" contre ses héritiers "et, s'il sortait de sa tombe, il les punirait tous!", a-t-il
ironisé.
Face à la récente polémique, les islamistes d'Ennahdha, qui digèrent toujours leur première expérience au pouvoir (2011-13), ont paru soucieux de ne pas rouvrir la plaie. Dans ce contexte, c'est la présidente de l'IVD, Sihem Bensedrine, qui a concentré la vindicte bourguibiste.
Après les auditions du 24 mars, des médias ont accusé cet ex-opposante au profil peu consensuel de mener une entreprise de "dénigrement" envers Bourguiba.
Membre de l'IVD, Adel Mizi s'est dit "choqué" par les attaques personnelles contre Mme Bensedrine. "Nous n'avons pas dit que nous allions réécrire l'Histoire!", a-t-il plaidé sur Mosaïque FM.
Leurs soutiens font valoir que ce travail de mémoire est nécessaire pour appréhender le futur d'un pays qui cherche encore sa voie, six ans après sa révolution.
Pour l'historien Khaled Abid, il y a "une fracture mémorielle en Tunisie que nous devons panser". Mais il dénonce chez l'IVD une "démarche idéologique et nullement scientifique".
Lors de la présidentielle de 2014, des observateurs avaient déjà fait remarquer que le président sortant Moncef Marzouki, rival malheureux de M. Caïd Essebsi, l'avait emporté dans les anciennes régions yousséfistes du sud. Preuve selon eux que ce conflit reste central au XXIe siècle.
M. Abid juge toutefois cette vision "superficielle", voire dangereuse. "Il faut dépolitiser notre histoire commune", et "la seule voie possible est d'écarter les récits qui idolâtrent ou diabolisent Bourguiba", dit-il.