Quête d’une «vérité» diagnostique: la maladie de Huntington
Peu avant de reprendre le travail, Monsieur décide de prendre contact avec le médecin traitant de ses parents et lui demande plus d’information à propos de la maladie de leur mère. Ce médecin lui annonce que leur mère souffrait de la maladie de Huntington. Il lui explique les spécificités de cette maladie et son caractère héréditaire. Il lui annonce également que ses parents avaient été mis au courant de la nature et des enjeux de cette pathologie, avant l’institutionnalisation de leur mère. Il l’informe finalement de la possibilité, grâce aux découvertes récentes, de pratiquer un test prédictif. Ainsi donc, un secret était venu prendre place au sein de la famille de Monsieur X. Un secret ayant pour objet l’existence d’une maladie héréditaire dans la branche maternelle de la parenté; un secret qui a pris place ainsi, à fortiori, au cœur de la fratrie. Monsieur X. avertit assez rapidement son épouse, ses enfants ainsi que sa belle-sœur des tenant et aboutissant de la maladie. Mais là où Monsieur X. se fait «non respectueux» du fonctionnement familial et de son secret en l’annonçant à sa femme et à ses enfants, il reste cependant «loyal» vis-à-vis de sa fratrie. Il sait que le seul moment où il a pu s’y montrer déloyal, cela s’est soldé par une prise de distance radicale. En froid avec son autre frère et sa sœur, il décide de ne pas les avertir. L’objet du secret, partiellement dévoilé, témoigne ainsi de sa condition d’objet «tabou»: interdit et menaçant. Nous y reviendrons plus largement. Très vite, le fils de Monsieur X. annonce à son père qu’il désire faire le test prédictif. Ce dernier refuse. Il estime qu’il est de son devoir de faire le test avant ses enfants et de leur éviter une démarche inutile s’il n’en est pas lui-même porteur. Monsieur X. ne veut également pas apprendre par l’un de ses enfants qu’il porte le gène et l’a transmis. Nous y entendons déjà ce qui, pour l’ensemble de la fratrie, semble difficile à assumer : une certaine haine pour la mère «défaillante» qui a transmis cette maladie létale au moins à l’un de ses enfants. Monsieur X. Nous fait bien entendre qu’il ne supporterait pas d’être à cette place-là; la place de sa propre mère. Cette place d’un parent qui, porteur du gène, n’a pu, ou pas voulu, transmettre l’information à son propre fils avant que celui-ci ne l’apprenne par lui-même. Un an après le décès de son frère, nous rencontrons Monsieur X. à la consultation de génétique pour un test prédictif concernant la maladie de Huntington. Monsieur X. nous présente son histoire. Par après, en consultation psychologique, il nous explique en quoi sa démarche fait entièrement partie d’un processus de réparation et de déculpabilisation. Il s’agit vraisemblablement pour ce patient de faire tout ce qui est en son pouvoir pour aider ses enfants, son neveu et sa belle-sœur et réparer les «dégâts de son silence». Notons que la fratrie totalement exclue de son désir de réparation. Il nous semble qu’il s’agit pour Monsieur de ne pas répéter et perpétuer le fonctionnement que sa famille a mis en place à propose la maladie. Cependant, en ce qui concerne son frère et sa sœur, il exprime encore d’énormes difficultés à pouvoir envisager une annonce de l’existence de la maladie: «On a beaucoup de mal à parler dans la famille lorsqu’il s’agit de discuter de choses plus difficiles. On évite plutôt d’en discuter». Il estime, cependant, que cette démarche pourrait lui permettre de montrer à son frère et à sa sœur qu’il fait tout pour tenter de les protéger et de les prévenir. Une autre loyauté familiale, mais aussi une condamnation du choix des parents de taire cette maladie et sa transmission possible. Il nous a ainsi semblé intéressant de nous attarder sur la façon dont la maladie est venue prendre place au sein de la famille de Monsieur X. et plus particulièrement sur la manière dont elle a pu évoluer au sein de sa fratrie. Le secret est très souvent présent au sein des histoires de familles concernées par la maladie génétique. Mais ce secret, personne ne l’interroge. Plus encore, nous avons à l’entendre comme «tabou»:il est frappé d’un interdit et représente un danger pour la fratrie. Questionner le secret met à mal le groupe familial. Si le non-dit, lorsqu’il est pris du côté de sa dimension de « secret » nous permet de saisir ce qui se joue au niveau trans-générationnel, déployer sa dimension de «tabou» nous fait entendre comment le non-dit se maintient et organise les liens familiaux entre les membres co-existant,
A fortiori entre frères et sœurs. Or, ces non-dits faisant l’objet d’un «tabou» sont susceptibles, aujourd’hui, d’être dévoilés par les nombreuses techniques nouvelles – rendues possibles par les avancées